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Le blog de Yv
6 mars 2005

LA VIE ET LA MORT

 Enfin Giuliana Sgrena est libre ! La journaliste est enfin libre, mais malheureusement à quel prix : celui de son "libérateur" ! On croirait voir la mauvaise fin d'un film. Tragiquement, la réalité peut nous dépasser. En Italie, la polémique et les interrogations n'ont assurément pas manqué dans les discussions animées de ce week-end et ils ne manqueront pas en ce début de semaine. Pourquoi les soldats américains ont-ils fait feu ? Les services secrèts, tant italiens qu'américains, excluent la thèse de l'embuscade et ils parlent plutôt de bavure. Pour autant, la journaliste n'écarte pas la première thèse. Aurons-nous la vérité sur ce triste dénouement ? La question reste posée. Je n'ai rien à ajouter à l'épilogue mi-heureux, mi-tragique. Exceptionnellement, je laisse dans les commentaires de ce message l'éditorial du directeur de Il Manifesto, Gabriele Polo, titré sobrement : "La vita e la morte".

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Commentaires
S
Malheureusement, je ne crois pas que on connaîtra un jour la vérité, et je vais même plus loin : la dite "dureté" des dirigeants italiens vis à vis des dirigeants américains n'est que pour la façade, pour calmer l'opinion publique italienne.... Leur pacte est trop important pour se brouiller pour un simple mort...(simple à leurs yeux, pas aux miens)
Y
de GABRIELE POLO (Il Manifesto)<br /> <br /> <br /> Quelques minutes, voila ce qu’a duré notre joie. Le temps écoulé entre un coup de fil et l’autre : celui qui nous annonce la libération de Giuliana et celui qui nous précipite dans l’assassinat de la personne qui a travaillé plus que toute autre pour la libérer. Quinze, vingt minutes au maximum, le temps de récupérer une vie et d’en perdre une autre. Dans l’absurde d’une guerre dans laquelle nous risquons de nous perdre tous. Bien sûr, nous sommes heureux de pouvoir bientôt à nouveau serrer dans nos bras Giuliana, de pouvoir l’avoir à nouveau parmi nous, d’écouter et lire à nouveau ses histoires de paix. Nous le devons à ce que nous avons fait pendant ce très long mois. Tous : nous du manifesto, les collègues qui nous ont aidé à garder en alerte notre attention sur cet enlèvement, tous ceux et celles qui, par un coup de téléphone, une lettre ou en descendant dans la rue ont gardé vive la présence de notre camarade même quand elle était contrainte au silence. Mais nous le devons aussi à ceux qui ont travaillé nuit et jour pour trouver un contact avec les ravisseurs, pour traiter avec eux, pour arriver à un accord. Des gens différents de nous, qui parlent une autre langue et utilisent d’autres moyens. Et pourtant avec certains d’entre eux, dans cette affaire, nous avons été unis par le même objectif : ramener chez elle une femme privée de liberté et le faire à travers une tractation, pas avec ces armes qui sont la racine du mal qui nous a privé de Giuliana pendant trente jours.<br /> Après ces quinze, vingt minutes de joie, nous avons été précipités hier dans un drame vécu en prise directe. Nous sommes des journalistes et nous devons le raconter, mais ne nous demandez pas le détachement du chroniqueur. Ça n’est pas possible. Comme il ne nous a pas été possible pendant ces semaines de séparer froidement l’obligation de compiler des chroniques et commentaires de notre préoccupation pour le destin de Giuliana, de la peur qu’elle ait peur, faim, froid. Quand cet autre coup de téléphone est arrivé dans ce palais aux plafonds hauts et aux pièces vastes –si différent de notre lieu de travail quotidien- nous étions là. Et nous ne pourrons jamais oublier la douleur des collègues de Nicola Calipari, la gêne de Giani Letta, l’incrédulité, même, du président du Conseil que nous voyions pour la première fois. Nous ne pourrons jamais oublier les appels téléphoniques heurtés, le chaos, l’impression de dépaysement d’un lieu de pouvoir aux prises avec un pouvoir absolu et incontrôlable, celui de la guerre, de ceux qui la font et la dirigent. « Nicola est mort, Giuliana est blessée » : pleurant, demandant des informations sur la blessure de Giuliana, en la sachant là, avec les fusils américains pointés sur elle, à saigner qui sait comment, demandant qu’on l’emmène tout de suite à l’hôpital. Après nous avons su que cette blessure n’était pas grave, seulement un éclat dans l’épaule, parce que la balle qui pouvait la tuer avait d’abord traversé le corps de Nicola Calipari. Qui l’a sauvée. Pour la deuxième fois. Dans ces minutes de chaos, faites de communications entre ministres, généraux, ambassadeurs - qui semblaient toutes être inutiles- nous avons assisté à la mise en scène de l’impuissance, à la représentation de la guerre qui tue la politique, qui étrangle la démocratie. Toutes nos idées –celles de Giuliana- se confirmaient. Et pourtant nous aurions voulu qu’il n’en soit pas ainsi. Nous aurions voulu entendre arriver un autre coup de fil, pour dire que tout ça était un quiproquo, qu’il n’y avait pas de mort, que Nicola s’était relevé comme par magie, peut-être un peu courbatu, et qu’il continuait avec notre Giuliana le parcours pour arriver à l’aéroport, pour revenir chez nous. Nous les aurions embrassés tous les deux et tout ce que nous venions de voir n’aurait été qu’un mauvais rêve.<br /> Au contraire, non. Ce coup de fil n’est jamais arrivé. Il y en a eu un autre qui confirmait tout : Nicola mort, Giuliana et deux autres agents des services à l’hôpital. A ce moment là, il ne restait qu’à partir, rentrer au journal, tout raconter aux camarades, expliquer que la joie était finie.<br /> On nous a appris à être froids, à analyser les évènements, à ne pas trop nous impliquer, pour pouvoir comprendre ce qui nous arrive. Et essayer de le changer. Mais le monde est fait de personnes. Les faits, et même l’histoire, sont notre produit : à la fin ils sont le résultat de corps, de chair et de sang. Tout dépend de nous, de ce que nous faisons. De ce qu’a fait et fera Giuliana, de ce qu’a fait mais ne pourra plus faire Nicola Calipari. Nous avons récupéré une camarade. Nous avons perdu celui qui serait devenu notre ami.<br /> <br /> <br /> 05-03-05
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